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14 mai 2005

Terrible question !

Terrible question !      
                                    
                                                                        Un de nos lecteurs, Laurent Suazé, nous a récemment proposé de publier une de ses nouvelles qui traite largement des robots. Selon l'auteur, son récit est très défavorable aux robots mais il se défend d'être de leurs détracteurs puisque lui-même en construit.

Le mieux pour se faire un avis est de lire cette nouvelle. Si vous aussi, vous avez écrit des récits ayant pour thême le robot, l'intelligence artificielle ou tout autre sujet connexe, n'hésitez pas à nous les envoyer.

TERRIBLE QUESTION



Cet hurluberlu peut-il vraiment sauver le monde ? se demanda la dame qui venait de sortir du magnétro.

« Prochaine station, Paraduel 2 ! » annonça la voix synthétique de l’engin qui démarra dans un long sifflement.

En entendant cela, la dame soupira. « Est-ce vraiment cet hurluberlu », pensa-t-elle, « cet hors-circuit qui libérera les gens des paradis virtuels ? ». Puis elle eut honte d’avoir usé du vocable de ses adversaires. « Non, ce n’est pas un hors-circuit, juste un homme qui a décidé de vivre différemment. Mais comment ce pauvre marginal pourrait-il nous aider ? ».

Tout en se posant cette question, elle se demanda intérieurement comment elle en était arrivée à marcher en cet instant vers les limites extérieures de la mégapole. Un léger vent frais la fit frissonner. Elle effleura le bouton tactile qui gonfla et resserra les mailles de sa vestorobe. Ainsi protégée, elle accéléra le pas vers Rétrograd, le quartier démodé. C’était Habin, son vieux complice, qui avait tant insisté qu’elle avait accepté. Et puis, les sondages étaient si catastrophiques qu’elle se raccrochait au moindre espoir. Elle songea avec tristesse combien le nombre de leurs partisans avait cruellement diminué. Pire encore, le pourcentage de votants n’avait jamais été aussi faible. Ceci la fit bouillir de colère, et elle maudit les deux dômes du paraduel numéro 2 qui se découpaient au loin à sa gauche. Et surtout le dernier débat télévisé avait été un désastre.

« Mais, bon Dieu ! nous ne sommes pas cérébralement reliés à Ultranet, nous ! », ragea-t-elle.

- Un instant, s’il vous plaît, l’interrompit une voix monocorde, celle d’un policier. Savez-vous que dans six cent quarante sept mètres commence Retrograd ?

- Oui, et alors ? D’ailleurs, je m’y rends. Est-ce interdit par la Loi ?

- Nullement, mais en vertu de la loi 6-b du 15 juillet 2085, je dois procéder à la vérification de votre identité.

- Je connais la Loi ! l’interrompit-elle d’un ton acide, puis elle présenta sa rétine au rayon lumineux.

- Tout est en règle, madame la députée, dit alors le policier.

- Je l’espère bien.

Puis l’agent escamota dans son torse le vérificateur d’identité, fit demi-tour sur ses chenilles, et continua silencieusement sa ronde ?

« Saleté de robot ! », maugréa-t-elle en poursuivant son chemin.

Tout en marchant, elle songea avec tristesse aux 80 dernières années, qui avaient vu les robots remplacer les êtres humains dans tous les secteurs professionnels, des tâches les plus répétitives jusqu'à l’enseignement, la santé et même la recherche grâce aux plus récents cerveaux positroniques. A ce jour seul 0,5% de la population active humaine était encore en activité. La grande majorité des hommes passaient le plus clair de leur temps dans leur caisson virtuel privé ou dans les paraduels. Depuis quinze ans, les centres de recherche robotique étaient dirigés exclusivement par des robots, alors que de plus en plus de postes de direction étaient occupés par des robots ou par des binômes homme/robot. Il y a 10 ans, des scientifiques, des philosophes, des politiciens créèrent le parti antirobotique, alors que les quatre consortiums qui contrôlaient l’industrie mondiale des loisirs, des médias et de la robotique créèrent le parti prorobotique, et ces deux formations politiques restèrent les seuls partis actifs. Les robots étant si efficaces, le parti prorobotique devint majoritaire. Une commission de robots fut créée qui fit contrepoids à l’Assemblée Nationale. Tous alla alors très vite ces dix dernières années. Une loi fut votée, permettant aux partis politiques de présenter des candidats robots. Et de nombreux postes de maires, députés, conseillers généraux et régionaux furent occupés par des robots. Ils appartenaient tous au parti majoritaire. Et cette année, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un candidat à l’élection présidentielle était un robot. Cela risquait fort de devenir le dernier combat de l’humanité pour sa liberté, car il projetait d’étendre le concept de citoyenneté aux robots en leur donnant le droit de vote

Tout à ses sombres pensées, elle faillit percuter un robot livreur. Elle vit alors qu’elle faisait face à un talus de terre de trois mètres de hauteur. Arrivée à son sommet, elle jeta un regard en arrière ; Elle vit au-dessus des toits les dômes des trois paraduels. Elle redescendit le versant opposé, et s’engagea d’un pas décidé dans Retrograd. Elle fut tout d’abord frappée par le grand nombre de gens qu’elle croisait. Quel contraste avec les rues vides de la ville moderne ! Et pas un seul robot. Elle vit des bâtiments d’un autre âge, tous dissemblables, mais composant un ensemble harmonieux. Elle arriva à destination. C’était une maison non collée à ses voisines, car ceinte d’un terrain où poussaient diverses plantes. « Un jardin ! Il en existe encore ! » s’étonna-t-elle. Sur le pas de la porte l’attendaient Habin et un petit homme à moitié chauve. Avant de franchir le seuil, elle vit avec surprise un robot qui taillait un arbuste. Voyant son trouble, le maître des lieux lui dit : « Je ne suis pas contre les robots, uniquement contre le règne des robots ».

Tous les trois se retrouvèrent dans une pièce étonnante. Les fenêtres avaient des rideaux, et elle aperçut trois vrais tableaux. Mais ce qui la stupéfia vraiment, ce fut l’immense bibliothèque couvrant deux pans de mur, garnie d’une multitude d’ouvrages.

- C’est la première fois que je vois des livres, et vous en possédez tellement ! dit-elle à son hôte qui posait trois verres sur une table basse.

- Ma bibliothèque vous plaît-elle ? demanda-t-il.

- C’est un véritable trésor ! s’exclama-t-elle.

- Un trésor, c’est le mot.

Il remplit trois verres d’un liquide ambré.

- Goûtez-moi ça, vous m’en direz des nouvelles.

Après avoir bu une gorgée, son corps entier fut envahi par une onde agréable. Elle en frissonna.

- Alors, monsieur Scheller, comment comptez-vous nous aider ? demanda-t-elle abruptement.

- Connaissez-vous Clausewitz ?

- Non !

- C’était un brillant stratège et un génial tacticien. Il préconisait le mouvement de flanc.

- Qu’est-ce que le mouvement de flanc ? demanda-t-elle, intriguée par cette référence militaire.

- C’est attaquer l’ennemi par surprise là où il s’y attend le moins, et mieux encore, là où il est impossible qu’il s’y attende ; ce que nous allons faire.


Dans la loge, M. Sperant, le candidat antirobotique était extrêmement nerveux.

- Vos explications ne m’ont qu’à moitié convaincu, madame Trévois.

- Vous verrez, ça réussira ! affirma-t-elle avec ardeur.

- Mais qu’a-t-il de si spécial, ce Scheller ?

- Il est surprenant.

- Ca commence dans cinq minutes ! annonça Habin qui venait d’entrer, accompagné de Scheller

- J’espère que vous êtes sûr de vous ! dit le candidat antirobotique au poète.

Dans le studio le candidat robot était déjà assis. Ses collaborateurs, positroniques comme organiques étaient installés derrière lui. Tout autour de la table ovale où s’affronteraient les deux adversaires, quatre caméras autonomes étaient prêtes à transmettre le débat sur les 723 chaines et les 1 857 canaux virtuels mondiaux. A l’opposé du plateau une tribune accueillait 180 spectateurs triés sur le volet.

Mme Trévois, Habin et M. Sperant s’assirent derrière la place du candidat antirobotique. Quand Scheller s’y installa, le candidat robot dit de son timbre métallique :

- Ne dois-je pas débattre avec M. Sperant ?

- Si, mais il est aphone, dit Mme Trévois.

Et M. Sperant déglutit avec difficulté afin de le démontrer.

- Il convient d’annuler la confrontation.

- Pas du tout ! M. Scheller, ici présent, le remplace. J’ai ici un papier signé de M. Sperant désignant M. Scheller comme son représentant. C’est tout à fait légal.

- Exact, loi n° 126 du 17 mars 2008 : « Tout candidat dans l’incapacité de s’exprimer, peut désigner un représentant pour la période de son indisposition ». Je connais parfaitement la loi, dit le candidat robot. Puis, à l’endroit de Scheller : Ce soir, M. Scheller, vous ne remplacez pas uniquement M. Sperant, vous êtes le porte-parole du parti antirobotique.

- Je préfère être celui des humains.

- Des humains ? Aux dernières élections, votre parti a obtenu 11,7865214 % des voix. Soyez précis, dit le robot.

- Le vôtre a peut-être eu 88,22 % des voix…

- 88,2134786 %, rectifia le candidat robot.

- Si vous voulez ! Mais comme uniquement 5% des inscrits ont voté, cela fait en gros 4% des électeurs. Pourquoi ? Car vous avez ôté aux gens le goût de s’investir dans la vie publique.

- Les a-t-on forcé à ne pas voter ?

- Certes non ! répondit Scheller.

- Nous n’avons pas aliéné leur liberté, n’est-ce pas ?

- Oui, mais il existe des moyens plus subtils !

- Lesquels ?

- En les détournant de leur responsabilité pas des distractions comme les paraduels.

- M. Scheller ! les a-t-on forcé à y aller ? Les gens décident librement. Ce qu’il faut dire, en revanche, c’est que grâce aux robots, l’espérance de vie moyenne est à ce jour de 116,687402 ans pour les hommes et de 122,740187 ans pour les femmes. La criminalité a baissé de 97,573458 % en 50 ans. Ces 5 dernières années, il n’y a eut aucun homicide, pas de cambriolage ni de vol de voitures

- C’est normal, les gens n’utilisent plus leur voiture, ironisa Scheller.

- Ces dix dernières années, il n’y a eu que deux accidents de la circulation. Et ce sondage effectué hier,  montre que 91,7123817 % des gens pensent que les robots ont amélioré leur existence.

Scheller ne releva pas ce chiffre, il respira profondément, et garda le silence.

- Vous ne savez que répondre, continua le candidat robot.

Le visage de Scheller s’éclaira soudain, puis il sourit malicieusement :

- Effectivement, les robots ont apporté quelques progrès. Néanmoins vous êtes incapables de répondre aux questions les plus élémentaires des humains.

- Soyez plus précis.

- Me permettez-vous de vous poser une simple question ?

- Oui.

- Pouvez-vous me donner l’heure exacte, s’il vous plaît ?

Quelques secondes se passèrent sans que le robot réponde. Puis il demanda :

- Que voulez-vous dire par « l’heure exacte » ?

- Mais, l’heure qu’il est… Vous ne pouvez-vous donc pas ?…

- Si… Un instant…. C’est très complexe…

Au bout de ce qui parut une éternité, alors que les spectateurs commençaient à s’agiter, il dit :

- Il est… 20 heures 36 minutes…

- Ah !… s’étonna Scheller, l’air inquiet.

- Non, c’est faux ! coupa le robot. Je dois être plus précis. Il est exactement 20 heures 36 minutes 14 secondes 7 dixièmes 71 centièmes 713 millièmes 7138 dix-millièmes 71385 cent-millièmes…  Non, c’est faux. Ca a changé. Il est exactement 20  heures 36 minutes 21 secondes 3 dixièmes 35 centièmes 351 millièmes 3514 dix-millièmes 35147 cent-millièmes 351474 millionièmes 3514748 dix-millionièmes 35147482 cent-millionnièmes 351474826 milliardièmes… Non, c’est faux ; ça va trop vite… Je dois calculer au milliardième de milliardième de secondes pour arriver à … C’est faux encore…

Le robot se mit à débiter les milliardièmes de secondes de plus en plus vite. Les chiffres devinrent incompréhensibles. Les personnes présentes étaient médusées. Les partisans robotiques commençaient à paniquer. A présent la voix du robot ressemblait à celui d’une sirène. Les divers robots du studio s’étaient arrêtés, caméras autonomes comprises. Les sons qu’émettait le robot candidat devinrent alors si stridents que les gens se bouchèrent les oreilles. La voix du robot atteignit alors la fréquence des ultrasons. Toutes les surfaces en verre volèrent en éclat. Ce fut alors la panique. La foule reflua en désordre vers la porte, pour se répandre dans les couloirs du bâtiment, entraînant d’autres personnes. Arrivés dans le hall, tous ces gens affolés durent briser les portes vitrées automatisées qui étaient tombés en panne, pour sortir en une indescriptible débandade.

Un lourd silence régnait dans le studio. Seuls Scheller, Habin, Mme Trévois et M. Sperant étaient restés. Le candidat robot étais toujours assis, immobile, le cerveau positronique entièrement fondu. Comme, au fil des secondes, il avait sollicité de plus en plus le réseau mondial Ultranet, les multiples banques de données devant traiter de plus en plus d’informations à un rythme inouï, avaient les unes après les autres grillé. Sur toute la Terre, tous les robots, qui étaient continuellement branchés à cette immense toile informatique, privés de leurs précieuses informations avaient cessé de fonctionner. Seuls les quelques robots entièrement autonomes continuaient leurs activités.

Les caissons virtuels privés, comme ceux des paraduels, étaient tombés en panne, et dans le monde entier, l’on vit sortir, comme d’un mauvais rêve, hébétés et hagards, les millions de virtuautes.

Le règne de l’homme recommençait.


Encore estomaqué par cette stupéfiante victoire, le candidat du parti antirobotique, seul encore en lice à la présidence, demanda à celui qui avait si brillamment triomphé :

- Pourquoi ne s’est-il pas arrêté ?

- Contrairement à nous, ils sont conçus pour ne pas échouer. L’échec ou l’erreur est hors du champ de leur programmation. C’est ce qui le perdit. Et puis, reconnaître ses erreurs, et savoir s’arrêter à temps est une qualité strictement humaine.

- Mon cher Scheller, comment avez-vous eu l’idée de terrasser ainsi notre adversaire ?

Le poète, encore fatigué par son combat, devant l’étonnement de son interlocuteur, prit sa pipe, la bourra, l’alluma, tira une bouffée, puis dit avec malice :

- Je l’ai trouvé dans un livre que j’ai lu naguère. Il fut écrit vers la fin du 20ème siècle par deux jumeaux géniaux. C’était un genre fort apprécié. On appelait ça, je crois, de la science-fiction.

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